ParolesMalbrough s'en va-t-en guerre . Malbrough s'en va-t-en guerre Mironton mironton mirontaine Malbrough s'en va-t-en guerre Ne sait quand reviendra (3X) Il reviendra z'Ă PĂąques Mironton mironton mirontaine Il reviendra z'Ă PĂąques Ou Ă la TrinitĂ© (3X) La TrinitĂ© se passe Mironton mironton mirontaine La TrinitĂ© se passe Malbrough ne revient pas (3X) Madame Ă
La chanson de Malbrouck, un objet ambigu 1La chanson de Malbrouck, dans sa version la plus courante, compte vingt-deux couplets. Elle raconte lâhistoire dâun soldat qui part Ă la guerre et reviendra Ă PĂąques ou Ă la TrinitĂ© ». Sa femme lâattend et monte Ă sa tour pour guetter son retour, mais le temps passe et Malbrouck ne revient pas. Un page vient enfin annoncer Ă sa femme quâil est mort et enterrĂ© » et raconte la cĂ©rĂ©monie funĂšbre. Celle-ci faite, chacun sâen va coucher, seul ou avec sa femme, conclut la chanson. 2Ce qui caractĂ©rise cette chanson, câest son ambivalence elle est sĂ©rieuse et triste pour les uns, gaie et parodique pour les autres. Sa fin la tire effectivement du cĂŽtĂ© du comique, et la plupart des commentateurs Du Mersan, T. Nisard, G. Doncieux, P. Coirault, H. Davenson se sont demandĂ© si les deux derniers couplets Ă©taient originaux ou sâils nâavaient pas plutĂŽt Ă©tĂ© ajoutĂ©s Ă une chanson funĂšbre, dans une intention ironique. Dans ce cas, dâailleurs, il pourrait aussi bien sâagir dâun ajout postĂ©rieur dâun second auteur â moins populaire que lâhypothĂ©tique premier auteur, car les lettrĂ©s ont parfois ironisĂ© sur la poĂ©sie du peuple â que de la conclusion dâun poĂšte populaire, qui aurait lui-mĂȘme satirisĂ© Coirault, 1942 118, note. Selon Doncieux Doncieux, 1904 455, ce sont trois couplets Ă©videmment parasites », mais ils appartiennent Ă la version la plus commune de la chanson, vĂ©hiculĂ©e notamment par lâimagerie dâEpinal. Couplets rajoutĂ©s ? couplets censurĂ©s ? On ne le sait pas bien. 3La forme de la chanson est tout aussi incertaine, puisquâon peut la caractĂ©riser Ă la fois comme une complainte, comme une marche, ou comme une ronde, si lâon prend ces catĂ©gories dans le sens que leur donne Davenson, qui distingue essentiellement les complaintes ou rĂ©cits continus, et les rondes ou chansons Ă danser, que caractĂ©rise la prĂ©sence dâun refrain Davenson, 1946 17. Câest une chanson en laisse, avec des effets de rĂ©pĂ©tition qui facilitent la mĂ©morisation. Doncieux la classe pour sa part dans les chansons Ă danser Doncieux, 1904 455. 4Enfin, ce qui fait la chanson, câest dâabord son air ; il y a primautĂ© des paroles, mais antĂ©rioritĂ© de lâair » Coirault. Comme le disait dĂ©jĂ de Coussemaker La mĂ©lodie joue incontestablement un rĂŽle considĂ©rable et quelquefois mĂȘme le rĂŽle principal dans les chants populaires ; il nâest point de chant populaire proprement dit sans mĂ©lodie » Cheyronnaud, 1997 74. Tous les collecteurs de chansons savent bien cependant que, dans celles-ci, la mĂ©lodie vient dâailleurs. Lâair est toujours un timbre une mĂ©lodie empruntĂ©e, et beaucoup de chansons folkloriques ont dĂ©laissĂ© leur premier timbre, ou la tradition lâa modifiĂ©. Câest aussi le cas de celle de Malbrouck. 5Ce que lâon peut dire de lâair de cette chanson, câest quâil comporte des intervalles inhabituels, et souligner lâimportance du refrain dans la structure, refrain en onomatopĂ©es, dont le sens Ă©chappe, mais qui imite apparemment le son dâinstruments, en lâoccurrence ici le son rauque, sourd, et voilĂ© que rendaient les trompes, cormes et cornets Ă bouquin des anciens temps, instruments qui sâemployaient pour la chasse comme pour la danse » Kastner, 1849. Selon Doncieux, il sâagit dâune sonnerie de cor », Ă peu prĂšs constante dans la tradition française. Par ailleurs, lâair est bien rythmĂ© Ă 6/8, sautillant et alerte. 6Ainsi, que lâon en considĂšre le thĂšme, les paroles, le sens, la forme ou lâair, on doit reconnaĂźtre que la chanson de Malbrouck est un objet difficile Ă cerner, mobile ; cependant, elle est courante. Car la derniĂšre caractĂ©ristique remarquable de cette chanson, câest son succĂšs durable, attestĂ© par une multitude dâĂ©ditions et dâenregistrements. Encore aujourdâhui, tout le monde la connaĂźt, certes pas sous sa forme intĂ©grale, mais au moins dans son refrain et dans sa trame. Pourquoi et comment est-elle devenue banale ? Peut-on la rĂ©duire Ă son timbre, qui a, dĂšs le XVIIIe siĂšcle, connu de multiples emplois ? Quelles sont les raisons de sa fortune historique ? Câest ce que je vais essayer dâĂ©clairer dans les lignes qui suivent. Je montrerai dâabord comment la chanson est devenue populaire, comment elle a Ă©tĂ© utilisĂ©e, avec quels inflĂ©chissements sĂ©mantiques, en particulier dans les domaines littĂ©raire et politique, dĂšs la fin du XVIIIe siĂšcle. Je mâintĂ©resserai ensuite Ă lâenquĂȘte historique dont elle a fait lâobjet, dans le cadre dâune recherche des origines nationales Ă travers le tĂ©moignage des chansons populaires. Je reviendrai Ă cette occasion sur lâorigine hypothĂ©tique et lĂ©gendaire de la chanson de Malbrouck, et sur les doutes suscitĂ©es aujourdâhui par ces hypothĂšses. Enfin, jâexpliquerai comment la chanson a perdu une partie de son sens, notamment de son sens politique, dĂšs la fin du XIXe siĂšcle, en devenant une chanson enfantine, et je montrerai ce processus Ă lâillustration des recueils de chansons. Une chanson populaire 7La chanson de Malbrouck sâenracine probablement dans le XVIIe siĂšcle. Son succĂšs est plus tardif ; ce nâest quâĂ partir des annĂ©es 1780 quâelle commence Ă circuler, mais avec une grande intensitĂ© et dans diffĂ©rentes directions. En 1783, elle est apparemment sur toutes les lĂšvres ; le nom de Malbrouck sert Ă baptiser toutes les nouveautĂ©s, des rubans, des coiffures, des chapeaux fĂ©minins. Du Mersan mentionne une pantomime sur la théùtre de Nicolet en 1783. La vogue de la chanson entraĂźne Ă©galement une insistance nouvelle sur le registre burlesque, allant parfois jusquâĂ lâobscĂšne » dans le théùtre de foire et de carnaval Delon, 1988 62. 8Le 10 juin 1784, lorsque meurt un spadassin du nom de Tricot, qui racolait les soldats, ses camarades, qui veulent lui faire un convoi pompeux mais gratis » Fournier, 1862 231, recourent Ă la chanson. Ils menacent le curĂ© de Saint-Nicolas-des-champs et entrent de force dans son Ă©glise, oĂč ils placent le cercueil sur deux chaises, en font trois fois le tour, en chantant Ă tue-tĂȘte, comme De profundis, la chanson de Malborough, et se retirent enfin, aprĂšs ce bel office. » 9Cependant, en 1784, dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais fait chanter Ă ChĂ©rubin sur lâair de Malbrouck sa fameuse romance acte II, scĂšne V qui commence par Mon coursier hors dâhaleine Que mon coeur, mon coeur a de peine ! Jâerrai de plaine en plaine Au grĂ© du destrier. » 10Cette romance comprend huit couplets et raconte lâhistoire dâun page solitaire et dĂ©solĂ© qui songe Ă sa marraine quâil adorait et quâil a apparemment perdue ; en larmes, il sâarrĂȘte prĂšs dâune fontaine et grave son nom Ă elle sur un arbre. Le roi passe avec son Ă©quipage et la reine lui demande ce qui le met en peine ; elle sâoffre Ă devenir sa marraine et Ă le marier un jour Ă la fille dâun capitaine, mais il refuse, prĂ©fĂšrant mourrir de cette peine mais non sâen consoler ». 11Dans lâusage quâen fait Beaumarchais, le recours Ă lâair de Malbrouck manifeste le choix dâun air ancien, connu et naĂŻf, qui convient Ă lâexpression stylisĂ©e dâun sentiment sincĂšre » ChĂ©rer, 1966 139. Le refrain, dĂ©pourvu de sens dans la chanson traditionnelle, est remplacĂ© ici par un autre dont la tristesse se communique directement Ă lâauditeur. La couleur est cherchĂ©e dans un Moyen-Age de convention ». Cet usage donne incontestablement Ă lâair de Malbrouck une dignitĂ© et une tristesse Ă©lĂ©giaque. 12De son cotĂ©, Restif de la Bretonne, Ă plusieurs reprises, tire lâair du cĂŽtĂ© de la sensiblerie larmoyante. Mais par la suite, la chanson est le plus souvent connotĂ©e de façon grivoise, dans les comĂ©dies et les vaudevilles qui parodient la piĂšce de Beaumarchais dans les annĂ©es 1790. Malbrouck y fait partie des airs frĂ©quemment employĂ©s ou rĂ©utilisĂ©s sur dâautres paroles. 13En dehors des frontiĂšres nationales, la chanson connaĂźt Ă©galement une grande vogue, qui sâĂ©tend jusquâen Russie au dĂ©but du XIXe siĂšcle Coirault, 1942 35. Goethe lâentend Ă VĂ©rone. Elle est signalĂ©e en Egypte par Chateaubriand, au dire de Weckerlin. Le poĂšte prĂ©tend avoir entendu lâair en Orient, oĂč il estime quâil fut apportĂ© par les CroisĂ©s de Godefroid de Bouillon. Les Arabes le chantent encore, et lâon prĂ©tend que leurs ancĂȘtres lâavaient appris Ă la bataille de Massoure, oĂč les frĂšres dâarmes du sire de Joinville la rĂ©pĂ©taient en choquant leurs boucliers et en poussant le cri national Montjoie Saint Denis ! », selon le bibliophile Jacob Loquin, 1843. La chanson est aussi passĂ©e au Canada. Suivant R. Lappara, on la chante en Castille, en Angleterre, aux Etats-Unis, chaque pays la croit sienne » Lavignac, 1920-1931 t. 4/35 note, et il en existe encore des dĂ©rivĂ©s. 14Câest cette renommĂ©e rapide et durable qui amĂšne les auteurs de chansons Ă recourir frĂ©quemment au timbre de Malbrouck sous la RĂ©volution. Constant Pierre, dans son ouvrage de rĂ©fĂ©rence Pierre, 1904, en rĂ©pertorie douze emplois pendant cette pĂ©riode, dont quatre en 1791 et trois en 1792. Commentant en gĂ©nĂ©ral lâemploi de ces timbres, Constant Pierre montre bien que le recours gĂ©nĂ©ralisĂ© qui y est fait â sur 3000 chansons rĂ©volutionnaires, seules 150 comportent une musique nouvelle â correspond surtout Ă la popularitĂ© de lâair et au goĂ»t commun pour le chant. Le chansonnier le recueil use de la musique comme simple vĂ©hicule, moyen mnĂ©motechnique, dâoĂč des contradictions nombreuses entre le sens des chansons originales et le choix de paroles nouvelles, et lâabsence dâanalogies systĂ©matiques de sujets et de situations. C. Pierre souligne aussi lâimportance des refrains, comme moyen de faire participer tout le monde et de diffuser des messages politiques, moyen dont tirera parti, plus tard, le cĂ©lĂšbre BĂ©ranger Schneider, 1988. Lâair utilisĂ© renvoie bien sĂ»r Ă notre chanson, mais parfois dans la version de Beaumarchais. Ainsi, dans la DisgrĂące des triumvirs » Pierre, n° 1968, oĂč Barras sâen va-t-en guerre, le vers refrain, Juste ciel, mon coeur tremble et se serre », Ă©voque plutĂŽt la romance de ChĂ©rubin que la chanson de Malbrouck proprement dite. M. Delon ajoute au recensement de C. Pierre un vaudeville de 1789, LâAssemblĂ©e des notables, qui parodie Ă©galement cette romance Delon, 1988 60. 15Cependant, le thĂšme des chansons issues de Malbrouck sous la RĂ©volution est parfois directement en rapport avec le thĂšme initial, soit comme convoi funĂšbre, soit surtout comme modĂšle de dĂ©rision sentimentale, politique ou xĂ©nophobe Delon, 1988. Dans la Complainte sur la mort imprĂ©vue de lâempereur LĂ©opold II au moment oĂč il allait dĂ©clarer la guerre Ă nos trĂšs chers et bons amis les jacobins » Pierre, 1904 n° 606, la dĂ©rision sâattache Ă lâempereur dâAutriche, croquĂ© en Attila moderne. Dans la Complainte de Marie-Antoinette dans sa tour » Pierre, 1904 n° 765 on a affaire Ă une sorte de dĂ©marquage de la chanson initiale oĂč une dame guette le retour de son Ă©poux ; Marie-Antoinette dans la tour du Temple tient le rĂŽle de la dame Ă©plorĂ©e, dont la chanson raconte la dĂ©faite », ainsi que celle de son Ă©poux Louis Veto aujourdâhui roi zĂ©ro, mais toujours gras et gros ». La dĂ©rision nâest pas forcĂ©ment anti-royaliste. La Chanson sur la mort du pĂšre Duchesne et le partage de sa sucession » Pierre, 1904 n° 1271 est une Ćuvre contre-rĂ©volutionnaire, mais il existe aussi une chanson babouviste sur lâair de Malbrouck, le PĂšre DuchĂȘne ressuscitĂ© », qui, sans dĂ©tour ni parodie, appelle la nation Ă se reprendre, Ă relever lâassemblĂ©e primaire » et Ă vivre libre ou mourir » Delon, 1988 61. 16On retrouve dans dâautres chansons contemporaines des thĂšmes de dĂ©rision xĂ©nophobe, notamment dans une Chanson en lâhonneur du citoyen Bonaparte », composĂ©e au lendemain du 18 brumaire, qui comprend, elle aussi, le mironton, ton, ton, mirontaine ». Weckerlin note pour sa part que, dans sa Symphonie de la victoire, dont le hĂ©ros est Wellington, Beethoven a personnifiĂ© les Anglais par lâair de Rule Britannia », et les Français par lâair de Malbrouck ; Ă©tait-ce une ironie ? » Weckerlin, 1885 42-46. Mais M. Delon montre aussi que la dĂ©rivation sur une cible Ă©trangĂšre [gĂ©nĂ©ralement anglaise ou germanique] nâĂ©puise pas la force contestataire de la chanson, qui peut toujours se retourner contre les illusions du militarisme » ; ce sera son principal usage au XIXe et au XXe siĂšcles. 17Au XIXe siĂšcle, la chanson de Malbrouck est surtout prĂ©texte Ă comĂ©die et Ă dĂ©rision Delon, 1988 69-71. Dans les annĂ©es 1830 et 1840, elle est illustrĂ©e par une piĂšce comique donnĂ©e aux VariĂ©tĂ©s en 1834, reprise avec succĂšs aux Folies dramatiques en 1843 Du Mersan, 1847. Dans un opĂ©ra bouffon du Second Empire, elle donne la trame dâune sorte de marivaudage dans lequel le gĂ©nĂ©ral anglais, dĂ©guisĂ© en mĂ©nestrel, courtise la servante, tandis que sa femme se laisse conter fleurette par un certain Lord Boul de Gomme, le mariage projetĂ© par la prĂ©tendue veuve nâĂ©tant interrompu que par le retour de Malbrouck. 18Dans les annales théùtrales du XXe siĂšcle, câest surtout dans un sens antimilitariste que lâon utilise la rĂ©fĂ©rence. Malbrough sâen va-t-en guerre est le titre dâune piĂšce de Marcel Achard, montĂ©e en24 par Louis Jouvet, oĂč lâauteur veut chanter sur un autre air » la chanson, en dĂ©nonçant les hĂ©roĂŻsmes inutiles » et en opposant Ă la version officielle et grandiloquente de la mort de Malbrouck la rĂ©alitĂ©, oĂč il a Ă©tĂ© frappĂ© dâune balle dans le dos alors quâil fuyait. La mĂȘme annĂ©e, une autre piĂšce portant le mĂȘme titre est imprimĂ©e, qui ironise Ă son tour sur les valeurs guerriĂšres. 19Si lâon suit la chanson entre 1780 et 1930 grosso modo, on se rend compte que sa diffusion, considĂ©rable, loin de lâĂ©purer ou de la fixer, en multiplie les virtualitĂ©s. Le travail savant dont elle fait alors lâobjet la transporte cependant sur un autre terrain, et contribue Ă une nouvelle mĂ©tamorphose. De chanson populaire », traditionnelle » â autant de termes ambigus et dĂ©licats Ă dĂ©finir Guilcher, 1985 62-65 â elle devient chanson historique », quasi-archive. Une chanson historique 20DĂšs le XIXe siĂšcle, tandis que la circulation de la chanson se poursuit, elle commence parallĂšlement Ă faire lâobjet dâun intĂ©rĂȘt savant. La chanson populaire reste importante dans les chansonniers destinĂ©s au grand public, mais elle constitue en effet un genre nouveau dans la recherche Ă©rudite. 21DĂšs les annĂ©es 1780, lâidĂ©e dâune enquĂȘte Ă mener dans des cadres rĂ©gionaux et en milieu populaire Ă©tait en germe, mais pas encore clairement formulĂ©e. Cependant, câest alors que Moncrif, La Place et leurs continuateurs engagĂšrent les chercheurs dans une direction fausse, en leur indiquant comme objet des chansons Ă contenu historique et lĂ©gendaire, et non, comme le feront plus tard les folkloristes, la chanson en tant quâelle constitue un art distinct. Ainsi, lâAcadĂ©mie celtique de 1807 sây intĂ©resse Ă la faveur dâun malentendu qui la rattache Ă une civilisation Ă©teinte Guilcher, 1985 44. 22Dans les annĂ©es 1840, ce sont surtout les publications de Loquin, Du Mersan, Leroux de Lincy, puis de Nisard, qui mettent en valeur la chanson de Malbrouck comme un tĂ©moignage historique. Dans le recueil de Loquin, qui prĂ©sente Ă la fois les productions les plus rĂ©ussies des auteurs dâopĂ©ras comiques et de chansonniers contemporains, les naĂŻves romances » et les touchantes complaintes de nos aĂŻeux », Malbrouck est la premiĂšre piĂšce mentionnĂ©e. Elle est prĂ©sentĂ©e comme une immortelle bouffonnerie », une burlesque Iliade » Loquin, 1843 introduction de Delloye, une facĂ©tie historique » Loquin, 1843 prĂ©sentation de la chanson par le bibliophile Jacob. Les chansons populaires de ce genre sont censĂ©es fournir une histoire chantĂ©e de la vie guerriĂšre et civile, des mĆurs, usages, opinions, travers de chaque Ă©poque ». Du Mersan, qui procĂšde avec le mĂȘme Ă©clectisme, remonte Ă Thibault de Champagne comme au premier pĂšre de la chanson française » Du Mersan, 1847 5. Il donne Ă©galement la premiĂšre place Ă Malbrouck, en reprenant Ă son sujet les mĂȘmes hypothĂšses. Il Ă©voque une autre chanson plus ancienne sur ce personnage, trouvĂ©e dans le recueil manuscrit de chansons historiques fait pour M. de Maurepas Du Mersan, 1847 26, et ajoute que Bonaparte la chantait Ă chaque campagne, et lâaurait mĂȘme fredonnĂ©e sur son lit de mort Du Mersan, 1847 27. Nisard classe celle de Malborough dans les chansons historiques religieuses, militaires et satiriques » quâil aborde par ordre chronologique, de lâAntiquitĂ© Ă la RĂ©volution, dans le chapitre qui va de Louis XII Ă Henri IV » cf. Klein, 1989 63. Câest encore le cas pour Julien Tiersot, qui voit dans Malbrouck le type de la chanson historique française » Tiersot. 23En somme, au XIXe siĂšcle, la chanson de Malbrouck est prise en considĂ©ration par les Ă©rudits essentiellement comme tĂ©moignage, et presque comme source. De ce fait, lâorigine de la chanson donne lieu Ă toutes sortes de conjectures, et aujourdâhui encore, lâunanimitĂ© nâest pas faite Ă ce sujet. La chanson de Malbrouck fait rĂ©fĂ©rence, apparemment, Ă un personnage historique John Churchill, duc de Marlborough, un cĂ©lĂšbre gĂ©nĂ©ral anglais qui sâest illustrĂ© dans la guerre contre Louis XIV 1650-1722, et dont le nom a Ă©tĂ© plus ou moins simplifiĂ© au cours de la diffusion de lâair sous la forme Malbrough », Malbrouck » ou Malbrou ». Pour les premiers commentateurs de la chanson, il ne fait pas de doute que ce soit ce personnage dont elle parle effectivement, et ils lâattribuent donc Ă un soldat contemporain, ou du moins situent son origine dans les milieux militaires, ce qui expliquerait le ton satirique du morceau. Comme le duc de Malborough est mort en 1722, on a dâabord datĂ© la chanson de cette annĂ©e. Mais comme il Ă©tait alors Ă la retraite et mourut benoĂźtement dans son lit dâune attaque dâapoplexie, on a rapidement liĂ© la chanson Ă une prĂ©cĂ©dente campagne. 24Selon le bibliophile Jacob, qui commente la chanson dans le recueil de Loquin, comme pour Du Mersan 1843 et pour Doncieux 1904, elle aurait Ă©tĂ© composĂ©e Ă lâoccasion de la bataille de Malplaquet le 11 septembre 1709, que devait gagner ce gĂ©nĂ©ral, mais qui fut un instant indĂ©cise, et oĂč lâon put le croire mort. Un troupier en verve » lâaurait improvisĂ©e, quelque chansonnier badin lui fit cette oraison funĂšbre au bivouac du Quesnoy, pour se consoler de nâavoir pas de chemise et de manquer de pain depuis trois jours ainsi va lâesprit français ». Dâautres hypothĂšses, plus fantaisistes, ont Ă©tĂ© parfois Ă©voquĂ©es Sarrepont, 1887 39-41 ; la chanson reste dans le domaine de la crĂ©ation militaire. 25En fait, elle ne sâest manifestĂ©e que dans les annĂ©es 1760 ou 1770, date approximative Ă laquelle elle a Ă©tĂ© imprimĂ©e par Valleyre dans un petit recueil. Lâair est employĂ© par Favart dans ses RĂȘveries renouvelĂ©es des Grecs, piĂšce reprĂ©sentĂ©e le 26 juin 1779 et imprimĂ©e la mĂȘme annĂ©e par Lormel. On sait surtout quâelle fut chantĂ©e par la nourrice du Dauphin en 1781, une certaine dame Poitrine, et câest de lĂ que date sa vĂ©ritable vogue. Selon Coirault, il est bien possible que loin de lâavoir apportĂ©e Ă la cour, Mme Poitrine lâait dâabord entendue Ă Paris ou Ă Versailles, ou que Marie-Antoinette la lui ait chantĂ©e la premiĂšre, et que toute cette histoire ne soit quâune lĂ©gende Coirault, 1942 35 note. La chanson serait alors lâauteur de quelque chanteur du Pont-neuf, peut-ĂȘtre Duchemin. Selon Bachaumont cf. Klein, 1989 64, ce fut un autre chanteur du Pont-neuf, Baptiste, dit le Divertisssant, qui contribua le plus, de toute la force de son gosier, au rĂ©veil populaire de la vieille chanson de Malbrough ». Comme on ne sait rien de la fameuse dame Poitrine, Loquin a mĂȘme suspectĂ© Beaumarchais dâĂȘtre lâauteur de la complainte et de lâavoir rĂ©pandue au prix dâune supercherie. 26Lâorigine de la chanson fait au XIXe siĂšcle lâobjet de spĂ©culations encore plus hasardĂ©es, dans la mesure oĂč les chercheurs lui trouvent deux prĂ©cĂ©dents, qui lâenracinent dans une Ă©poque trĂšs antĂ©rieure au XVIIIe siĂšcle, et qui font, elles aussi, rĂ©fĂ©rence Ă des personnages historiques le duc de Guise et le prince dâOrange. Dans la chanson du prince dâOrange, attestĂ©e par un chansonnier manuscrit des annĂ©es 1730-1740, on voit le thĂšme tout Ă fait Ă©laborĂ© le prince part Ă la guerre, et doit revenir Ă PĂąques ou Ă NoĂ«l. A sa femme qui lâattend, un messager apporte la nouvelle de sa mort, et dit quâil lâa vu porter en terre par quatre Cordeliers ». Comme il sâagit de Philibert dâOrange 1502-1530 et du siĂšge de Saint-Dizier par Charles Quint 1544, la rĂ©daction peut remonter au XVIe siĂšcle. 27Le thĂšme de lâenterrement burlesque est attestĂ© dâautre part dans la chanson sur le convoi du Duc de Guise mort en 1563, dans laquelle le prince est mort et enterrĂ©, et oĂč lâon raconte la cĂ©rĂ©monie, qui se conclut par le fait que chacun sâen va coucher, les uns avec leurs femmes et les autres tout seuls ». Leroux de Lincy en donne une version dans le volume de son recueil concernant le XVIe siĂšcle Leroux de Lincy 287, qui prĂ©sente quelques variantes par rapport Ă notre chanson ce sont des gentilhommes » qui portent son casque, ses pistolets, son Ă©pĂ©e qui tant dâhuguenots a tuĂ©s ». Mais cette derniĂšre chanson nâa Ă©tĂ© imprimĂ©e quâaprĂšs la publication de Malbrouck, dans le recueil de La Place, PiĂšces intĂ©ressantes et peu connues pour servir Ă lâhistoire de la littĂ©rature, paru Ă Bruxelles et Ă Paris en 1785. Lâauteur y livre quelques rĂ©flexions sur les anciennes romances » La Place, 1785 286, oĂč il sâĂ©tonne de leur raretĂ© en France, par opposition Ă leur abondance parmi les peuples voisins, et appelle Ă leur collecte. A titre dâexemple, il en reproduit deux, la chanson faite sur le convoi funĂšbre du Duc de Guise, dont il souligne la ressemblance avec la fin de la chanson de Malbrouck, et la chanson du Comte Orry et des nonnes de Farmoutier, une composition de son crĂ», Ă partir de prĂ©tendus vestiges dâune ancienne chanson rĂ©gionale du XIVe ou du XVe siĂšcle Guilcher, 1985 37. 28Pour les chercheurs du XIXe siĂšcle, la chanson de Malbrouck tire incontestablement de ces prĂ©cĂ©dents une valeur dâarchive et un grand prestige. Ils Ă©laborent diverses hypothĂšses pour relier lâune Ă lâautre les chansons et expliquer les voies de leur transmission et de leur mĂ©tamorphose. Selon Nisard Nisard, 1867 276 sq., la chanson a Ă©tĂ© faite en premier lieu par des soldats huguenots Ă lâoccasion de la mort du Duc de Guise en 1563 et sâest conservĂ©e dans les armĂ©es, oĂč elle Ă©tait chantĂ©e avec des variantes toutes les fois quâil venait Ă mourir quelque gĂ©nĂ©ral dâimportance ». Puis, Ă la fin des guerres civiles, la chanson suivit dans leurs provinces les soldats licenciĂ©s et y vĂ©cut, comme eux, de la vie civile, se perpĂ©tuant dans le casernes et dans les campagnes tout au long du XVIIe siĂšcle. Se demandant comment la chanson du duc de Guise est devenue celle de Malbrouck, Nisard ajoute que les paroles de notre chanson au sentiment de quelques-uns, seraient lâoeuvre des soldats de Villars et de Boufflers, lesquels nâauraient fait que les appliquer plus ou moins fidĂšlement au gĂ©nĂ©ral anglais aprĂšs la bataille de Malplaquet [1709] puis aprĂšs sa mort en 1722 ». 29Cette cristallisation sur la personne de Malborough est plausible si lâon se rappelle que le gĂ©nĂ©ral anglais, passant pour un nĂ©cromancien qui avait dâintimes liaisons avec le diable, avait traumatisĂ© la conscience collective et donnĂ© lieu Ă toute une affabulation paysanne Delon, 1988 61. Faute de pouvoir le vaincre, on lâaurait chansonnĂ©. On [n]âavait certainement pas oubliĂ© [la chanson], mais on avait peut ĂȘtre perdu lâhabitude de la chanter, ou lâon nâen avait pas trouvĂ© lâoccasion, lorsquâen 1781, soixante ans aprĂšs la mort de Malborough, Madame Poitrine, nourrice du dauphin, la chanta en allaitant son nourrisson ». 30Les savants ultĂ©rieurs seront beaucoup plus circonspects. Doncieux voit dĂ©jĂ dans la chanson sur le convoi du Duc de Guise non une source, mais une imitation de Malbrouck. Coirault, qui croit en avoir retrouvĂ© des traces antĂ©rieures, notamment en Poitou, maintient que la chanson du Duc de Guise a Ă©tĂ© composĂ© dâabord, mais la plupart des versions que lâon connaĂźt sont tributaires de lâarrangement de la Place. Claude Duneton Duneton, 1998 53-54 trouve pour sa part lâhypothĂšse de Coirault hasardĂ©e. 31Quoi quâil en soit, les trois chansons suivent effectivement un schĂ©ma narratif trĂšs semblable, ce qui laisse Ă penser que lâon est en prĂ©sence dâun texte passe-partout, ayant servi successivement pour les trois personnages, en donnant Ă chaque fois matiĂšre Ă rĂ©fection. Le traitement burlesque dâune situation tragique, la mise bout Ă bout de thĂšmes connus isolĂ©ment, le dĂ©nouement Ă rallonges, sont autant dâindices dâusure » Davenson, 1946 n° 80. On a Ă©videmment affaire Ă une rĂ©fection tardive de thĂšmes beaucoup plus anciens », oĂč certains ont trouvĂ© des vestiges du Moyen-Age. Ainsi, F. GĂ©nin, recopiĂ© par Pierre Larousse, voit lâorigine du Malbrouck dans une piĂšce du Romancero espagnol, La chanson de Mambrou, qui met en scĂšne les personnages connus la dame, le croisĂ© attendu, la page ou le compagnon dâarmes qui revient avec la nouvelle de sa mort. Selon Davenson, le thĂšme initial remonte bien au Moyen Age ; il est attestĂ© Ă lâĂ©tat embryonnaire par une chanson de toile de la premiĂšre moitiĂ© du XIIe siĂšcle, Belle Doete as fenestres se siet ». 32Que conclure de toutes ces conjectures sur lâorigine de la chanson ? Il est frappant quâau XIXe siĂšcle, on se soit intĂ©ressĂ© Ă elle pour des raisons historiques ». On a voulu y voir une sorte de chanson de geste moderne plus moderne en tous cas que la Chanson de Roland » !. Sa cĂ©lĂ©britĂ© savante a Ă©tĂ© dĂ»e Ă cette caractĂ©ristique-lĂ , mĂȘme si sa popularitĂ© avait dâautres racines. De lâarchive au signe interpĂ©tations, illustrations 33Ce nâest que vers le Second Empire que lâon commence Ă relativiser lâaspect historique ; les chansons populaires reçoivent alors droit de citĂ© dans les ateliers dâartistes et dans les salons bourgeois. Elles font lâobjet en 1852 dâune collecte nationale, impulsĂ©e par le ministre Fortoul, menĂ©e sous les auspices dâune commission dâĂ©rudits, qui vise Ă la fois Ă rassembler et Ă Ă©purer » le rĂ©pertoire. Il faut quelques annĂ©es Ă cette commision pour rĂ©viser ses critĂšres de sĂ©lection. 34Elle manifeste initialement un intĂ©rĂȘt particulier pour les romances narratives. Elle dĂ©finit la catĂ©gorie de poĂ©sies historiques » comme celles qui cĂ©lĂšbrent un fait mĂ©morable, un homme illustre ou mĂȘme qui, sous des noms imaginaires, peignent vivement la situation morale ou politique dâun temps » Cheyronnaud, 1997 108. Citant le roi Dagobert, puis La Palisse, elle ajoute Quand Ă Lord Marlborough, il a trouvĂ© aussi chez nous la cĂ©lĂ©britĂ© populaire dans une chanson quâil faut bien se garder de repousser, car elle est Ă©videmment un dĂ©bris dâun chant plus ancien, qui remonte au Moyen-Age, comme lâindiquent quelques traits de moeurs fĂ©odales et chevaleresques, dĂ©bris auquel on a associĂ©, dans le dernier siĂšcle, le nom du vainqueur de Blenheim » Cheyronnaud, 1997 109. Quelques paragraphes plus loin, elle poursuit La chanson du duc de Guise est aussi un souvenir de lâĂ©poque des guerres de religion ; elle est curieuse comme prĂ©sentant dans quelques dĂ©tails un degrĂ© intermĂ©diaire entre lâancien chant du Moyen-Age, aujourdâhui perdu, qui a Ă©tĂ© le type primitif de la chanson de Malbrouck et cette chanson elle-mĂȘme, laquelle, bien que rapportĂ©e Ă un personnage plus moderne, a conservĂ© des traits dâune date plus reculĂ©e » Cheyronnaud, 1997 111. Dans le dĂ©pouillement des rĂ©ponses fait entre 1853 et 1857 on trouve en effet plusieurs versions de la chanson du duc de Guise, dont deux variantes » sur le prince dâOrange. 35Lâenvoi par M. Le Clerc, recteur du dĂ©partement de la Somme, dâune complainte de Tournay » concernant la mort dâAdolphe, duc de Gueldre, montre la façon de procĂ©der de la commission, qui trouve dans lâArt de vĂ©rifier les dates que le duc fut tuĂ© en juin 1477 et en conclut que la complainte dont il sâagit remonte au XVe siĂšcle, ajoutant ... si on remarque quâelle Ă©tait encore chantĂ©e il y a peu de temps par un vieux batelier de Ham-sur-Somme, on admettra certainement que peu de chansons populaires offent au mĂȘme degrĂ© le caractĂšre de poĂ©sie historique, et peuvent prĂ©tendre Ă une origine aussi ancienne » Cheyronnaud, 1997 190. De mĂȘme, AmpĂšre appelle dans ses Instructions Ă ne nĂ©gliger ni les refrains isolĂ©s, ni les rondes chantĂ©es par les enfants, car elles peuvent contenir des traits qui prouvent, soit leur antiquitĂ©, soit une origine Ă©trangĂšre » Cheyronnaud, 1996 146. 36Mais en mai 1855, un dĂ©bat sâĂ©lĂšve sur cette façon de dater les piĂšces, et la commission appelle ses correspondants Ă moins se prĂ©occuper du caractĂšre historique des morceaux » Cheyronnaud, 1997 214. Il est remarquable quâalors mĂȘme que la commission mise sur pied par Fortoul opĂšre dans les chanson populaires un tri et une hiĂ©rarchie qui en Ă©lude le contenu politique au seul profit du contenu historique et folklorique, Victor Hugo utilise pour sa part la chanson de Malbrouck dans un tout autre sens, en lui donnant dans le recueil des ChĂątiments une place de choix. DĂšs avant son exil, Hugo est lâun des rares poĂštes dont lâesthĂ©tique prĂ©suppose une philosophie de lâhistoire. Dans celle-ci, le peuple est le vrai sujet de lâhistoire, ce qui invite Ă chercher en lui Ă la fois les sujets littĂ©raires et le public, pour essayer de rĂ©aliser la fusion des deux cultures Biermann, 1988. Les nombreuses chansons que lâon trouve dans les ChĂątiments 1853 puis dans les Chansons des rues et des bois 1859 sont Ă analyser dans ce contexte. 37Charles PĂ©guy fait de cette rĂ©fĂ©rence un trĂšs long commentaire dans Clio PĂ©guy, 1932. Il dĂ©signe dans ce poĂšme une castigation funĂšbre entre toutes » PĂ©guy, 1932 58, la plus funĂšbre Danse macabre, qui ait jamais Ă©tĂ© peinte, sculptĂ©e, contĂ©e, chantĂ©e » PĂ©guy, 1932 60, de toutes les Danses macabres, celle qui est la moins indigne du Dies irae » PĂ©guy, 1932 64. Par cette rĂ©fĂ©rence chrĂ©tienne, PĂ©guy souligne la valeur du poĂšme, valeur non pas littĂ©raire mais mĂ©taphysique. De ses plus rĂ©centes colĂšres, [Hugo] a fait une oeuvre antique, de ses prĂ©caires, de ses temporaires, de ses passagĂšres, de ses pĂ©rissables colĂšres politiques il a fait une oeuvre Ă©ternelle » PĂ©guy, 1932 61. Il commente longuement la technique de Hugo, le refrain intĂ©rieur commandant chacun des couplets Paris tremble, ĂŽ douleur, ĂŽ misĂšre », qui procĂšde directement de celui de Malbrouck, et le retournement du vers cardinal, au dernier moment, sur lui-mĂȘme. Dans ce convoi de dix-huit strophes », le rythme est donnĂ© par lâair traditionnel. LĂ aussi, il voit un trait de gĂ©nie PĂ©guy, 1932 59. Il nây a que les maĂźtres du rythme qui trouvent ainsi dans le commun, sur le marchĂ© des valeurs, de ces airs traditionnels qui commandent ainsi toute une rĂ©ussite ». 38Au milieu du XIXe siĂšcle, la chanson de Malbrouck est donc valorisĂ©e par lâusage quâen fait Hugo, mais elle continue aussi de faire partie du rĂ©pertoire populaire, oĂč elle perd peu Ă peu tout sens politique. Elle devient au XXe siĂšcle une chanson enfantine, par un processus auquel les recherches Ă©voquĂ©es plus haut ne sont pas Ă©trangĂšres. En effet, la dĂ©finition dâun corpus de ces chansons en France est tardive, par opposition Ă la prosperitĂ© du genre outre-Manche Cousin, 1988 19. Les chansons enfantines sont un Ă©cho du rĂ©pertoire des grandes personnes, plus ou moins dĂ©marquĂ©, adaptĂ© ou abandonnĂ© aux enfants par satiĂ©tĂ© ou usure » Davenson, 1946 58. Il ne comprend presque rien qui soit dâorigine populaire, sauf quelques berceuses, et dâune façon gĂ©nĂ©rale il se compose des scies Ă la mode dans le Paris des annĂ©es 1780-1800 » Davenson, 1946 60. 39Ce corpus est fixĂ© pour lâessentiel entre 1840 et 1880, et varie peu de Du Mersan 1843 Ă Boutet de Monvel 1885. Il comprend un noyau dâune trentaine de chansons dont le succĂšs ne se dĂ©ment pas pendant un siĂšcle et demi ; prĂšs de la moitiĂ© sont des rondes, destinĂ©es Ă accompagner les activitĂ©s ludiques, les autres Ă©tant plus diverses, quoi que souvent chansons Ă rĂ©cits. Le changement de public entraĂźne parfois un changement de style. Plusieurs chansons Ă double entente ne sont plus entendues quâau sens littĂ©ral. Les chansons longues sont rĂ©duites Ă leurs premiers couplets, Malbrouck en particulier ne comporte plus que 14, 16 ou 20 couplets, ou donne lieu Ă des versions abĂątardies, quand lâair nâest pas seul repris pour des chansons didactiques Cousin, 1988 130. 40Lâillustration de la chanson contribue elle aussi Ă en fixer et Ă en modifier le sens. Il est frappant de voir comme au fil du temps le motif sentimental lâemporte sur le thĂšme militaire. Dans lâĂ©dition de Loquin Loquin, 1843, toute une sĂ©rie de gravures raconte lâhistoire la premiĂšre reprĂ©sente un gĂ©nĂ©ral en armure avec un casque Ă panache, Ă cheval, un sabre Ă lâĂ©paule, prĂ©cĂ©dĂ© de tambours et de soldats armĂ©s, suivi de hallebardiers, tous en costume du XVIIe siĂšcle. Au fond, on aperçoit deux hĂ©rauts et un chevalier, dâĂ©poque plus incertaine. Sur la seconde gravure, un page en noir fait la rĂ©vĂ©rence devant une grosse dame, qui pleure dans son mouchoir, et de ses deux suivantes, au sommet dâune tour crĂ©nelĂ©e. La troisiĂšme figure le convoi funĂšbre, avec quatre officiers portant les armes de Malbrouck, prĂ©cĂ©dĂ©s dâun tambour, et suivis de son cheval, caparaçonnĂ© de noir, et de soldats. Sur la derniĂšre, sorte de parodie de la RĂ©surrection, on voit lâenvol de lâĂąme de Malbrouck, qui suscite lâeffroi des assistants. En marge, chantent des badauds, illustrant probablement la popularitĂ© ultĂ©rieure de la chanson. Ce sont ces images qui seront reprises dans les Chansons et danses enfantines de Weckerlin Paris, Garnier, 1885, dans lâillustration en couleurs de Boutet de Monvel, rééditĂ©e encore aujourdâhui. 41Lâimage dâEpinal popularise aussi la chanson, et diffuse sa lĂ©gende. Sur celle qui reprĂ©sente la mort et le convoi de Malbrouck, figurent non seulement les vingt-deux couplets de la chanson, et les images qui les illustrent, mais aussi une notice sur le personnage, pleine dâinexactitudes, ou plutĂŽt de conventions, puisquâelle le fait mourir en 1723 Ă Malplaquet alors que la bataille de Malplaquet a eu lieu en 1709 et que le gĂ©nĂ©ral est mort lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente dans son lit. 42Au XXe siĂšcle, dĂšs les annĂ©es trente, le boudoir concurrence le champ de bataille. Dans lâ Album Yo-Yo » de 1932, plusieurs gravures accompagnent la chanson. La premiĂšre reprĂ©sente les dames privĂ©es de leurs Ă©poux sâennuyant au salon ; dans la seconde elles sont sur la tour scrutant lâhorizon. La troisiĂšme image met en scĂšne lâannonce de la mauvaise nouvelle et lâĂ©vanouissement de Mme Malbrouck, la quatriĂšme la mort de Malbrouck sur le champ de bataille il est frappĂ© par un projectile et tombe Ă la renverse de sa monture. Les images suivantes figurent respectivement les funĂ©railles, le personnage affligĂ© qui ne porte rien », la tombe gardĂ©e par un soldat. 43AprĂšs 1945, chaque Ă©diteur de livres pour enfants se doit dâavoir son album dâimages, avec des partitions et des paroles des chansons. Ces livres sont joyeux, la guerre et la mort y sont de plus en plus discrets. Dans lâillustration, les perruques, rubans et tricornes, restent Louis XV, mais les visages sont de plus en plus enfantins ; les couleurs franches et parfois criardes remplacent les pastels et aquarelles » Bustarret, 1986 70. Parfois, lâhistoire repousse la lĂ©gende. Dans un album Poncet, 1951 93, une femme se penche Ă la fenĂȘtre dâune tour ; en bas, on aperçoit la silhouette dâun autre personnage, sans doute Malbrouck venant rassurer son Ă©pouse et lui montrer quâil est bien vivant. Dâautres fois lâhistoire perd toute rĂ©alitĂ©, on entre dans un jeu Bustarret, 1986 71. Dans les livres les plus actuels, dâune part Malbrouck ne figure pas toujours, mĂȘme dans les recueils de chansons traditionnelles, dâautre part on reprĂ©sente plus volontiers la dame Ă sa tour que le militaire. Elle est jeune et jolie, parfois adolescente, et habillĂ©e de couleurs pastel. La guerre nâest plus Ă©voquĂ©e quâindirectement, par des cartouches figurant des insignes ou des armes. 44Au terme de ce parcours, on mesure la richesse polysĂ©mique de la chanson, la largeur du prisme historique et social quâelle fournit. AprĂšs deux siĂšcles dâenquĂȘtes historique, une chanson aussi connue que celle de Malbrouck garde une part de son mystĂšre. On ne sait pas avec certitude si elle est lâinvention dâun soldat ou celle dâun auteur lettrĂ©, une chanson du XVIIIe siĂšcle ou une copie de chanson plus ancienne, qui serait passĂ©e du registre noble et Ă©lĂ©giaque au registre populaire et burlesque. On ne comprend pas complĂštement les raisons de son succĂšs. Est-il seulement dĂ» Ă ce que son refrain Ă©tait facile Ă rĂ©pĂ©ter en cĆur Nisard, 1867, 274 ? A sa vogue Ă la cour de Marie-Antoinette ? A son statut de chanson historique ? 45Dans son commentaire du poĂšme des ChĂątiments, PĂ©guy le qualifie de chef dâoeuvre inconnu, oubliĂ©, mĂ©connu », dans cette Ćuvre cĂ©lĂšbre de ce cĂ©lĂšbre poĂšte. Câest une chanson, dit-on, et on passe . Erreur ! Rien nâest aussi profond que la chanson populaire » PĂ©guy, 1932 83. PĂ©guy trouve remarquable que ce mĂȘme air ait servi Ă la fois Ă Beaumarchais et Ă Hugo, pour ce quâil y a peut-ĂȘtre de plus gracieux et pour ce quâil y a peut-ĂȘtre de plus terrible dans lâhistoire des lettres françaises » PĂ©guy, 1932 59. Ainsi, la vieille chanson ... a poussĂ© une romance et une danse macabre. La vieille souche a poussĂ© dâune part une tige et une feuillaison du plus jeune printemps. Et dâautre part elle a poussĂ© ce tronc blanchi dâhiver et de mort » PĂ©guy, 1932 82. ContrariĂ©tĂ© qui nâest qu apparente, oĂč lâauteur voit lâordre, la nature, le vieillissement temporel » PĂ©guy, 1932 82, et qui nâest possible quâĂ condition que cette antique, cette premiĂšre souche soit elle-mĂȘme une souche naturelle, une antique souche populaire ». Or, de toutes ces souches naturelles, de toutes les souches populaires, nulle ne sera jamais aussi fĂ©conde, câest-Ă -dire aussi pleine dâavance de vie et de mort que nos vieilles chansons populaires » PĂ©guy, 1932 83. Seul un esprit frivole » pourrait traiter lĂ©gĂšrement notre vieux Malbrou », oĂč tout Ă©tait dĂ©jà ». 46Bien sĂ»r, on ne peut plus adopter telle quelle la position de PĂ©guy, et la foi dans le gĂ©nie populaire qui va avec, foi si enracinĂ©e dans le XIXe siĂšcle. Mais ses affirmations ont le mĂ©rite de souligner lâintĂ©rĂȘt historique du matĂ©riau chanson. Une chanson comme celle de Malbrouck, dans lâhistoire de ses mĂ©tamorphoses, de ses interprĂ©tations, est indissociable de son contexte dâexpression et de signification. Certes, elle est un sens, une idĂ©e directrice, plutĂŽt quâelle nâest un assemblage fixe de mots choisis Coirault, 1942 44. Une telle poĂ©sie est plus spirituelle que matĂ©rielle, plus substance que forme. Mais ce sens lui mĂȘme nâest pas univoque ; loin dâĂȘtre un fossile, un objet, la chanson est finalement plutĂŽt de lâordre du signe, et peut-ĂȘtre du symbole.Paroles Malbrough s'en va-t-en guerre Mironton mironton mirontaine Malbrough s'en va-t-en guerre Ne sait quand reviendra 3X Il reviendra z'Ă PĂąques Mironton mironton mirontaine Il reviendra z'Ă PĂąques Ou Ă la TrinitĂ© 3X La TrinitĂ© se passe Mironton mironton mirontaine La TrinitĂ© se passe Malbrough ne revient pas 3X Madame Ă sa tour monte Mironton mironton mirontaine Madame Ă sa tour monte Si haut qu'elle peut monter 3X Elle voit venir son page, Mironton mironton mirontaine Elle voit venir son page Tout de noir habillĂ© x3 Beau page, oh mon beau page Mironton mironton mirontaine Beau page, oh mon beau page Quelles nouvelles apportez ? x3 Aux nouvelles que j'apporte Mironton mironton mirontaine Aux nouvelles que j'apporte Vos beaux yeux vont pleurer x3 Monsieur Malbrough est mort Mironton mironton mirontaine Monsieur Malbrough est mort Est mort et enterrĂ© x3 Je l'ai vu portĂ© en terre Mironton, mironton, mirontaine Je l'ai vu portĂ© en terre Par quatre z'officiers.x3 L'un portait sa cuirasse Mironton, mironton, mirontaine L'un portait sa cuirasse L'autre son bouclier.x3 L'un portait son grand sabre Mironton, mironton, mirontaine L'un portait son grand sabre L'autre ne portait rien x3 Alors autour de sa tombe Mironton, mironton, mirontaine Alors autour de sa tombe Romarin l'on planta x3 On vit voler son Ăąme Mironton, mironton, mirontaine On vit voler son Ăąme Au travers les lauriers x3 Chacun mit ventre Ă terre Mironton, mironton, mirontaine Chacun mit ventre Ă terre Et puis se releva x3 Pour chanter les victoires Mironton, mironton, mirontaine Pour chanter les victoires Que Malbrough remporta x3 La cĂ©rĂ©monie faite Mironton, mironton, mirontaine La cĂ©rĂ©monie faite Chacun s'en fut coucher x3 Les uns avec leurs femmes Mironton, mironton, mirontaine Les uns avec leurs femmes Et les autres tout seuls. Et les autres tout seuls x3 Ce n'est pas qu'il en manque Mironton, mironton, mirontaine Ce n'est pas qu'il en manque Car j'en connais beaucoup x3 Des blondes et des brunes Mironton, mironton, mirontaine Des blondes et des brunes Et des chĂątaignes aussi x3 Je n'en dis pas davantage Mironton, mironton, mirontaine Je n'en dis pas davantage Car en voilĂ z'assez x3 Traditionnel SALVES D OR PRODUCTIONS
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